En 2005 sortait Fahrenheit, également appelé Indigo Prophecy aux Etats-Unis. Deuxième jeu du studio français Quantic Dream après The Nomad Sould, il préfigurait le "gameplay mais pas trop" qui caractérisera Heavy Rain cinq ans plus tard. Comprenez par là que l'aventure lorgne au moins autant du côté du cinéma que du jeu vidéo, l'action étant reléguée au second plan par le scénario. Ce dernier nous place dans la peau de Lucas Kane, un new-yorkais qui se retrouve une froide soirée d'hiver à commettre un meurtre à l'insu de son plein gré. Comme possédé par une force extérieure, notre homme assassinne froidement un quidam dans les toilettes d'un restaurant. Quelques minutes plus tard, deux détectives, également contrôlés par le joueur, se rendent sur place pour enquêter. Ces deux scènes d'ouverture donnent le ton de l'aventure, qui fait la part belle aux angles de caméra audacieux et n'hésite pas à emprunter à la série 24h Chrono le procédé du split screen, qui permet d'afficher à l'écran plusieurs actions simultanément. Du côté du gameplay, on a droit à des dialogues en temps limité (il faut choisir le thème de la prochaine phrase en seulement quelques secondes), des interactions qui tentent plus ou moins habilement de mimer ce qui se passe à l'écran (on se verse par exemple une tasse de café en effectuant un quart de cercle à la manette ou à la souris) et des QTE frénétiques destinés à simuler le stress des phases d'action (boutons à marteler façon Track & Field, ou à presser au bon moment et dans le bon ordre). Pour couronner le tout, les différents héros que l'on contrôle possèdent une barre de moral qu'il convient de garder la plus haute possible, en discutant avec des personnages amicaux, en progressant dans les objectifs, ou tout simplement en réalisant des petites actions du quotidien comme écouter de la musique ou se servir un verre. Si vous négligez trop cet aspect, les héros pourront être amenés à se suicider et à vous infliger par la même occasion un bon vieux game over.
NUL N'EST PROPHÈTE EN SON PAYS...
La réédition qui nous intéresse aujourd'hui ne change rien à tous ses principes de jeu, dont certains ont assez mal vieillis. Replonger dans Fahrenheit en 2015, ou le découvrir pour la première fois, est intéressant pour évaluer le chemin parcouru en dix ans ou pour parfaire sa culture vidéoludique mais, dans l'absolu, on ne s'amuse pas autant qu'on le souhaiterait. Il faut dire que la recette a largement été peaufinée depuis, non seulement dans les autres titres de Quantic Dream mais également par le studio américain Telltale Games, qui a frappé fort avec l'épisodique The Walking Dead. Mais le plus gênant reste que le remake ne change absolument rien au scénario de Fahrenheit. C'est bien normal, mais il s'agit pourtant là du point faible majeur du jeu. La base classique et réaliste (New-York, un meurtre, des flics) est accrocheuse, certains développements intéressants (le rôle des clochards par exemple) mais au fil de l'action, l'aventure s'enfonce dans un gloubi-boulga mystique sans queue ni tête qui finit vraiment par tourner au grand n'importe quoi. Certains critiques, sûrement trop pressés d'écrire leur test, étaient passés à côté de ce point en 2005 mais aujourd'hui, nul ne peut l'ignorer.
Et puis tant qu'à rémasteriser un titre de Quantic Dream, pourquoi ne pas avoir choisi The Nomad Soul ? Sorti en 1999, voilà un titre qui aurait encore plus besoin d'un ravalement de façade que Fahrenheit !
Evidemment, ce n'était pas vraiment le propos de cette réédition de changer cela, le "remastering" se concentrant essentiellement sur l'aspect graphique du jeu. On a ainsi droit à une touche magique, qui permet de basculer instantanément et à tout moment entre la version 2005 et la version 2015. Hautement appréciable, cette option trahit en revanche le manque d'audace et de travail de la part des nouveaux développeurs. Grosso modo, le studio texan s'est contenté de retravailler certaines textures, sans enrichir en polygones les modèles 3D ni améliorer les différents effets spéciaux. Du coup, le jeu conserve un aspect vieillot et il arrive même qu'on préfère certaines anciennes textures aux nouvelles ! Cerise moisie sur le gâteau, le jeu est propice à différents bugs et plantages (crash, écran noir, impossibilité d'utiliser un pseudo Steam comprenant un caractère spécial…). Et puis tant qu'à rémasteriser un titre de Quantic Dream, pourquoi ne pas avoir choisi The Nomad Soul ? Sorti en 1999, voilà un titre qui aurait encore plus besoin d'un ravalement de façade que Fahrenheit !